La dette extérieure de la Tunisie s’est élevée à 41,038 milliards de dollars en 2020 et il était prévu qu’elle augmente davantage au vu des besoins de financement, notamment pour honorer nos engagements extérieurs mais aussi pour pouvoir assurer le bon fonctionnement de l’Etat… L’ancien administrateur de banques publiques, Mohamed Zarrouk, nous éclaire ici sur les possibles manœuvres à l’heure actuelle.
Est-ce que la Tunisie est en passe de surmonter ses problèmes financiers, notamment en matière de remboursement des dettes?
La dette extérieure du pays s’élève à plus de 41 milliards de dinars, hormis la dette des entreprises publiques tunisiennes contractée sur le marche financier international et assortie de la garantie de l’Etat tunisien. 75% de la dette est en monnaies étrangères et 25% en monnaie locale auprès du système bancaire tunisien. L’économie du pays ne crée plus de richesses, la croissance est négative, -8,5 en 2020, et le PIB stagne et régresse et la majorité des indicateurs sont au rouge, dont principalement un taux de chômage de 18% et un endettement excessif de plus de 100% du PIB.
Le remboursement des prochaines échéances étrangères (4e trimestre 2021) de 1.952 millions de dinars dont près de 5.000 millions de dinars sur des Bons de Trésor court terme (Btct) semble hypothétique et grandement mis en jeu surtout avec l’annonce de Moddy’s et l‘interruption des rounds de négociation avec le FMI. Le non-règlement de l’Etat tunisien des Btct aggravera le problème chronique de liquidité et limitera amplement le financement de l’économie.
En l’absence de sortie sur le marché financier classique international, le gouvernement Bouden devra s’atteler à chercher de nouvelles ressources et nouveaux moyens dont le concours et les aides des pays amis et l’utilisation des réserves en devises du pays de 130 jours d’importation avec le risque des effets négatifs de la planche à billets pour disposer de la contrepartie en dinars. Aussi, on pourra demander la libération de la dernière tranche déjà autorisée par le conseil d’administration du FMI dans le cadre du dernier programme de suivi (cela dépendra de la qualité des négociateurs tunisiens) et donner la garantie de l’Etat pour des sommes déposées par la diaspora tunisienne en devises à la Banque centrale de Tunisie. Ces dépôts doivent être rémunérés en conséquence sachant que le taux de rémunération dans les pays d’Europe est trop faible. Il y a la possibilité d’utiliser l’argent dormant dans les comptes des différents fonds constitués par l’Etat tunisien au nombre de plus de 70 fonds. Et finalement, on pourra solliciter un report d’échéances auprès des créanciers étrangers.
L’urgence maintenant est de clore l’exercice 2021 par l’élaboration d’un budget complémentaire et les besoins sont estimés entre 14 et 18 milliards de dinars au 31-12-2021. Ces besoins n’ont jamais été annoncés encore moins confirmés par le ministère des Finances. En l’absence d’alternatives et le temps qui presse, le recours du gouvernement au système bancaire déjà essoufflé semble chaotique et gravissime pour l’ensemble de l’économie.
Financer le budget 2022 et clore celui en cours semble être la tâche la plus difficile du gouvernement Bouden. Devrons-nous passer à la planche pour le faire et avec quelles conséquences ?
Est-ce qu’il sera un budget d’austérité ? Est–ce qu’il va être dans la continuité ou inspiré d’un nouveau modèle de développement économique ? Sera-t-il le budget du FMI au moins pour les grandes orientations avec un cours du baril qui avoisine 80 dollars ?
Les grandes orientations de la stratégie économique et sociale de Madame Bouden ne sont pas encore clarifiées et dépendront, à mon avis, des conditions draconiennes que le FMI mettra sur la table durant les prochains rounds. Sur quelle variable, parmi ces quatres dans une perspective de rareté des ressources, va-t-elle agir? Primo, les dépenses de fonctionnement de l’Etat et particulièrement la masse salariale des fonctionnaires. Secundo, la caisse de subvention et les transferts sociaux. Le troisième facteur est les investissements de développement, alors que le quatrième est celui des services de la dette (Par une décision politique de demande rééchelonnement).
Le gouvernement va se retrouver contraint d’accepter les exigences fermes du FMI au niveau de la réduction de la masse salariale des fonctionnaires. Personnellement, je pense qu’il est plutôt nécessaire d’orienter les discussions vers les moyens possibles pour l’accroissement du PIB et la création des richesses (amélioration de l’environnement d’investissement, migrer vers un modèle économique basé sur la valorisation, etc.). Le taux masse salariale/PIB diminuera et se rétablira dans les normes du FMI. Un engagement sur la croissance du PIB plutôt que de chercher la réduction des salaires des fonctionnaires qui sont déjà considérés faibles et éviter ainsi les tensions sociales.
Pour ce qui est de la réduction de l’intervention de la Caisse générale de compensation, cela impliquera une suppression des subventions des carburants, un retour à la réalité des prix des autres produits subventionnés sur les marchés et une orientation exclusive des interventions de la caisse uniquement à ceux dont ils ont besoin.
Il y a l’axe de la restructuration structurelle des entreprises publiques et la décision d’arrêter de les financer par les ressources de l’Etat et d’utiliser le PPP et le marché financier à travers de nouveaux produits financiers comme levier de restructuration et de développement pour ces entreprises. Le denier axe est de réduire l’effet et le volume du marché parallèle et de trouver de nouveaux moyens pour le contenir et l’introduire progressivement dans l’économie formelle.
Il est à noter que la réussite d’un nouveau programme de suivi avec le FMI est incontournable pour notre accès de nouveau aux marchés financiers internationaux classiques.
Plusieurs indicateurs sont au rouge même si les exportations sont en augmentation… Quel serait le premier chantier pour entamer cette relance?
Pour relancer l’économie du pays en 2022, il est judicieux de mettre en marche simultanément les trois moteurs de la croissance, à savoir : l’investissement (local et IDE), la demande intérieure et l’exportation. Toutefois, des préalables sont nécessaires pour réussir l’étape dont principalement le regain de confiance généralisé dans le site Tunisie, la révision rapide du code des investissements et des législations y afférentes, redonner un nouveau souffle aux organismes de soutien et à notre diplomatie économique (Fipa, Haute instance de l’investissement, Cepex, etc.)
Côté accès au financement, il y a la possibilité de révision à la baisse du taux d’intérêt directeur dissuasif actuellement pour les PME et les nouveaux investisseurs locaux. Le combat contre une inflation ascendante est possible par des moyens autres que monétaires. Et l’Etat peut se repositionner sur les marchés des produits et services par une rigoureuse supervision et contrôle des mécanismes du marché.
De même, l’Etat devrait être une locomotive pour drainer l’investissement privé et se repositionne dans une dynamique de progrès, le temps que le pays retrouve le rythme d’investissement et d’exportation, et ce, en engageant de grands travaux d’infrastructure généralisés dans le pays : autoroutes, chemins de fer, barrages, pont de Bizerte, pont de Djerba, raccordement des villes en gaz naturel, maintenance du réseau Sonede, raccordement des zones intérieures à l’Onas, etc.
Il faut aussi commencer la réalisation du projet de Tunis Sud qui s’étale sur 820 hectares (Sama Dubai). Un projet de 20 à 25 milliards de dollars. Car quand le bâtiment va tout va!
Dans la même perspective, il faudra accélérer la réalisation du RFR Tunis et le métro de Sfax et anéantir définitivement les obstacles pour faire démarrer les projets de production de l’électricité par des sources vertes, permettant ainsi au pays de réaliser l’objectif de 30 % de la consommation nationale à l’horizon 2030.
Il faut aller vers un nouveau modèle économique basé sur la valorisation et la production de la valeur ajoutée. C’est que le modèle actuel basé sur la sous-traitance, l’exportation de nos richesses en vrac et un secteur agricole abandonné à lui-même ne donnera pas les taux de croissance souhaités pour éradiquer le chômage et la pauvreté. Afin de combattre l’économie de rente, on pourra opter pour l’ouverture généralisée des secteurs pour tout investisseur et accélérer la sortie des cahiers des charges dans les secteurs auparavant prohibés. Une autre solution est envisageable, celle de mettre en place un plan national pour réduire les barrières d’entrée dans la majorité des secteurs d’activités et faciliter l’intégration de nouveaux promoteurs.